Des chiens qui débusquent les punaises de lit

30 juillet 2019

Pour repérer les insectes suceurs de sang, des entreprises font appel à des chiens renifleurs. Cette méthode est-elle fiable?


Quand Timoté Rostaing Séguin a caché une bouteille contenant trois punaises de lit dans mon divan, j’ai fait : « Euh… elle est étanche, votre bouteille? »


Le jeune homme, qui traque les vampires à six pattes avec son chien Jag pour l’entreprise Orkin Canada, a éclaté de rire et m’a assuré que son test était sans danger.


Après avoir dissimulé ses petits Dracula, Timoté a touché aux autres meubles du salon et s’est promené dans la maison, pour que son odeur à lui ne soit pas concentrée à un seul endroit. « Sinon, mon chien va savoir tout de suite où j’ai caché la bouteille », explique-t-il. Puis il a fait entrer son partenaire canin.


Une fois son harnais installé, ce qui signifie « au travail! », le labrador noir a foncé droit sur la maison. Il a passé la porte sans dire bonjour et s’est précipité dans la chambre. Il a fait le tour du lit, a soulevé la douillette avec sa truffe, a humé le matelas. Puis, il s’est dirigé vers le fauteuil, a hésité un brin (ciel, s’il fallait qu’il en trouve pour vrai!) avant de se ruer vers l’autre chambre pour flairer sérieusement partout. Enfin, il s’est précipité au salon, en a fait trois fois le tour, le museau en l’air, s’est assis devant le divan et a posé sa truffe à l’endroit pile où était dissimulée la bouteille. Bingo!


« Jag a mis plus de temps que d’habitude à trouver les intrus », admet son maître en donnant une récompense au chien. Mais compte tenu du vent qui entre à pleines fenêtres et de l’odeur de ma chienne — « grosse distraction », c’est un bon résultat.


Pour prévenir le problème
Dotés d’un odorat infiniment plus puissant que celui des humains, les chiens sont dressés pour détecter la drogue, les explosifs et, de plus en plus, les punaises de lit. De un, parce que leur rapidité et leur rayon d’action permettent une économie de temps. De deux, parce qu’ils réussissent à débusquer un nombre infinitésimal d’insectes avant qu’ils squattent tout un immeuble. C’est pourquoi les hôtels, les hôpitaux et les résidences pour aînés, entre autres, les utilisent préventivement.


Selon un sondage d’Orkin Canada paru en janvier 2019, Toronto et Winnipeg seraient les villes du pays où il y aurait le plus de punaises de lit. Montréal occuperait le 18e rang, derrière Vancouver (4e) et Ottawa (6e).


En 2017, 3,5 % des logements montréalais étaient infestés, selon la Direction régionale de santé publique de Montréal, qui m’assure que la proportion est restée à peu près la même. Un chiffre trop conservateur, selon Harold Leyvey, propriétaire des Entreprises Maheu, qui travaille dans la gestion parasitaire depuis 40 ans. Selon lui, « le problème s’étend d’année en année. Et ces bibittes, qui se multiplient à une vitesse supersonique, causent de graves dommages physiques et psychologiques. »


Une méthode pas toujours fiable
D’où l’attrait des chiens dépisteurs. Mais s’ils sont fiables à près de 100 % dans un environnement contrôlé, ils le seraient un peu moins sur le terrain, selon une étude du Département d’entomologie de l’Université Rutgers, au New Jersey. Dans certains cas, 50 % moins efficaces qu’en laboratoire.


Mais ce n’est pas toujours la faute de l’animal. Certaines personnes s’improvisent maîtres-chiens. Et la formation est parfois déficiente. Les chiens policiers, par exemple, sont plus entraînés que certains de leurs confrères entomologistes, selon les auteurs de l’étude.


« Les chiens donnent un indice, mais il faut que leurs maîtres confirment les faits de visu, affirme Harold Leyvey. Les punaises sont grosses comme un pépin de pomme et se voient à l’œil nu. Ou alors on remarque des petites taches noires, leurs excréments. »


Attention aux profiteurs!
Récemment, un de mes copains a engagé un maître-chien après que sa locataire ait vu ce qui ressemblait à une punaise. Les deux toutous de l’homme se sont assis, l’un après l’autre, devant un lit et un sofa, mais le logement était impeccable, selon un spécialiste reconnu, appelé en renfort. « Avant de partir, le maître-chien m’avait remis la carte d’un spécialiste en traitement thermique, raconte mon ami. Si j’avais utilisé ses services, ça m’aurait coûté 6 000 $ pour rien, pas mal plus cher qu’une extermination normale. »


Soudés à jamais
Timoté Rostaing Séguin et Jag sont parmi les rares duos à être certifiés par la National Entomology Scent Detection Canine Association et la World Detector Dog Organisation. Le jeune homme affirme que les chiens de sa compagnie sont testés chaque année et fiables à 98 % « lorsque le scénario est idéal ». Toutefois, il ne craint pas de dire que ce ne sont pas des machines et qu’il vérifie toujours après s’il y a bel et bien des punaises.


« Certains chiens peuvent tourner les coins ronds, affirme Timoté. Mais notre job à nous, c’est qu’ils restent dans le droit chemin. Jag et moi, on est ensemble 24 heures sur 24, depuis six ans. Je le connais par cœur. Vous le sentez, vous, quand votre chum essaie de vous en passer une? Moi, c’est pareil. Lorsque la vraie odeur entre dans ses narines, je le vois, parce qu’il change instantanément d’attitude. Il tourne la tête, fige quelques secondes, puis plus rien n’existe à part ça. Même moi! »


Mais Jag, qui a huit ans, prendra sa retraite en octobre. « Il appartient à la compagnie pour laquelle je travaille, mais c’est sûr que je le garde, lance le jeune homme, la voix pleine d’émotion. Toutefois, je devrai retourner en Californie, où nos chiens sont formés, pour en trouver un autre. Au début, Jag va aider le nouveau, puis il va venir quatre jours sur cinq, trois jours… puis plus du tout. Ça va être dur pour lui. Ça fait six ans qu’il saute dans la voiture tous les matins pour aller travailler. Ma seule consolation, c’est qu’en vieillissant, il a plus besoin d’amour que d’action. J’espère que ça suffira. »


Photos : François Haché, photographe



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