Quand Timoté Rostaing Séguin a caché une bouteille contenant trois punaises de lit dans mon divan, jâai fait : « Euh⦠elle est étanche, votre bouteille? »
Le jeune homme, qui traque les vampires à six pattes avec son chien Jag pour lâentreprise Orkin Canada, a éclaté de rire et mâa assuré que son test était sans danger.
Après avoir dissimulé ses petits Dracula, Timoté a touché aux autres meubles du salon et sâest promené dans la maison, pour que son odeur à lui ne soit pas concentrée à un seul endroit. « Sinon, mon chien va savoir tout de suite où jâai caché la bouteille », explique-t-il. Puis il a fait entrer son partenaire canin.
Une fois son harnais installé, ce qui signifie « au travail! », le labrador noir a foncé droit sur la maison. Il a passé la porte sans dire bonjour et sâest précipité dans la chambre. Il a fait le tour du lit, a soulevé la douillette avec sa truffe, a humé le matelas. Puis, il sâest dirigé vers le fauteuil, a hésité un brin (ciel, sâil fallait quâil en trouve pour vrai!) avant de se ruer vers lâautre chambre pour flairer sérieusement partout. Enfin, il sâest précipité au salon, en a fait trois fois le tour, le museau en lâair, sâest assis devant le divan et a posé sa truffe à lâendroit pile où était dissimulée la bouteille. Bingo!
« Jag a mis plus de temps que dâhabitude à trouver les intrus », admet son maître en donnant une récompense au chien. Mais compte tenu du vent qui entre à pleines fenêtres et de lâodeur de ma chienne â « grosse distraction », câest un bon résultat.
Pour prévenir le problème
Dotés dâun odorat infiniment plus puissant que celui des humains, les chiens sont dressés pour détecter la drogue, les explosifs et, de plus en plus, les punaises de lit. De un, parce que leur rapidité et leur rayon dâaction permettent une économie de temps. De deux, parce quâils réussissent à débusquer un nombre infinitésimal dâinsectes avant quâils squattent tout un immeuble. Câest pourquoi les hôtels, les hôpitaux et les résidences pour aînés, entre autres, les utilisent préventivement.
Selon un sondage dâOrkin Canada paru en janvier 2019, Toronto et Winnipeg seraient les villes du pays où il y aurait le plus de punaises de lit. Montréal occuperait le 18e rang, derrière Vancouver (4e) et Ottawa (6e).
En 2017, 3,5 % des logements montréalais étaient infestés, selon la Direction régionale de santé publique de Montréal, qui mâassure que la proportion est restée à peu près la même. Un chiffre trop conservateur, selon Harold Leyvey, propriétaire des Entreprises Maheu, qui travaille dans la gestion parasitaire depuis 40 ans. Selon lui, « le problème sâétend dâannée en année. Et ces bibittes, qui se multiplient à une vitesse supersonique, causent de graves dommages physiques et psychologiques. »
Une méthode pas toujours fiable
Dâoù lâattrait des chiens dépisteurs. Mais sâils sont fiables à près de 100 % dans un environnement contrôlé, ils le seraient un peu moins sur le terrain, selon une étude du Département dâentomologie de lâUniversité Rutgers, au New Jersey. Dans certains cas, 50 % moins efficaces quâen laboratoire.
Mais ce nâest pas toujours la faute de lâanimal. Certaines personnes sâimprovisent maîtres-chiens. Et la formation est parfois déficiente. Les chiens policiers, par exemple, sont plus entraînés que certains de leurs confrères entomologistes, selon les auteurs de lâétude.
« Les chiens donnent un indice, mais il faut que leurs maîtres confirment les faits de visu, affirme Harold Leyvey. Les punaises sont grosses comme un pépin de pomme et se voient à lâÅil nu. Ou alors on remarque des petites taches noires, leurs excréments. »
Attention aux profiteurs!
Récemment, un de mes copains a engagé un maître-chien après que sa locataire ait vu ce qui ressemblait à une punaise. Les deux toutous de lâhomme se sont assis, lâun après lâautre, devant un lit et un sofa, mais le logement était impeccable, selon un spécialiste reconnu, appelé en renfort. « Avant de partir, le maître-chien mâavait remis la carte dâun spécialiste en traitement thermique, raconte mon ami. Si jâavais utilisé ses services, ça mâaurait coûté 6 000 $ pour rien, pas mal plus cher quâune extermination normale. »
Soudés à jamais
Timoté Rostaing Séguin et Jag sont parmi les rares duos à être certifiés par la National Entomology Scent Detection Canine Association et la World Detector Dog Organisation. Le jeune homme affirme que les chiens de sa compagnie sont testés chaque année et fiables à 98 % « lorsque le scénario est idéal ». Toutefois, il ne craint pas de dire que ce ne sont pas des machines et quâil vérifie toujours après sâil y a bel et bien des punaises.
« Certains chiens peuvent tourner les coins ronds, affirme Timoté. Mais notre job à nous, câest quâils restent dans le droit chemin. Jag et moi, on est ensemble 24 heures sur 24, depuis six ans. Je le connais par cÅur. Vous le sentez, vous, quand votre chum essaie de vous en passer une? Moi, câest pareil. Lorsque la vraie odeur entre dans ses narines, je le vois, parce quâil change instantanément dâattitude. Il tourne la tête, fige quelques secondes, puis plus rien nâexiste à part ça. Même moi! »
Mais Jag, qui a huit ans, prendra sa retraite en octobre. « Il appartient à la compagnie pour laquelle je travaille, mais câest sûr que je le garde, lance le jeune homme, la voix pleine dâémotion. Toutefois, je devrai retourner en Californie, où nos chiens sont formés, pour en trouver un autre. Au début, Jag va aider le nouveau, puis il va venir quatre jours sur cinq, trois jours⦠puis plus du tout. Ãa va être dur pour lui. Ãa fait six ans quâil saute dans la voiture tous les matins pour aller travailler. Ma seule consolation, câest quâen vieillissant, il a plus besoin dâamour que dâaction. Jâespère que ça suffira. »
Photos : François Haché, photographe