Quand mon coiffeur mâa parlé de cette famille qui éclatait et de ce chien « à donner », jâétais fermée. Il mâa montré des photos. Je nâai jamais vraiment su comment jâétais passée de « non » à « oui ».
Le chien est arrivé à la maison malgré lui. Il avait 18 mois. Nous devenions, Elisabeth et moi, sa 5e famille. Victime de sa beauté, il avait souvent été adopté par des humains incapables de subvenir aux besoins de ce grand sportif.
Je me souviens de ses yeux exorbités lorsquâil a compris que son humain le laissait chez moi. Les fenêtres ont tremblé sous la puissance de sa détresse. Jâai tenté de le rassurer. Il refusait de me regarder dans les yeux.
Ce soir-là , il a croqué dans le rôti qui sortait du four et sâest enfui avec la baguette. Avant de sâendormir, il a mangé le contenu du beurrier. à 4 heures du matin, il hurlait. Il a tenté de fuir par la fenêtre. Jâai tout fait pour lâen empêcher.
Jâai recommandé à lâado de la maison de ne pas sâattacher. « On ne pourra pas le garder ».
Ma mère mâa conseillé le contraire. « Aime-le plus fort ».
Jâai rangé ses gamelles. Je lâai nourri à la main. Croquignole par croquignole. Quarante-cinq kilos à entretenir au compte-goutte. Le prix à payer pour compter pour lui. Au bout de 16 semaines, il a daigné me regarder dans les yeux. Ce que jây ai vu mâa bouleversée. Il venait de me remettre tout ce que je lui avais donné. Mais nous nâétions pas dans un film de Walt Disney.
Ce chien mâa traînée à travers les boulevards au milieu de la circulation, pissant sur des parterres entretenus, intimidant femelles et petits chiens, se foutant bien que je me fasse engueuler par tout un chacun. Il avait du front tout le tour de la tête, et partout, il se sentait roi â il portait bien son nom⦠Clovis, premier roi de France. Il a découché, il a fugué, il sâest battu, et une fois, son adresse au cou, il est rentré en taxi! Je le revois encore, lâair détendu, lâépaule appuyée contre la portière.
Il a mis du temps à accepter les règles. Jâai mis du temps à respecter ses besoins. Mais on a fini par sâaimer comme des fous.
Je lui ai appris à faire « Beau Bonhomme ». à faire la révérence. à être délicat. à être poli avec mes parents et doux avec les enfants. à essuyer ses quatre pattes sur le tapis en rentrant. Ãa faisait rire tout le monde. Plus je lui montrais des trucs, plus notre relation devenait intense. Il a enfin connu la fierté dâêtre un chien gentleman. Il était vraiment heureux.
Il mâa appris à être patiente. à ne pas crier. à exprimer clairement mes demandes. à être constante. Il mâa appris à faire confiance. à lâcher prise. à permettre. à cesser de vouloir être parfaite. Il mâa aidée à devenir une meilleure personne.
à Noël dernier, alors que les fauteuils étaient tous occupés autour du sapin, il est venu se plaindre, le museau sur ma cuisse. Jâai faussement cru quâil était jaloux, quâil revendiquait sa place habituelle sur le meilleur fauteuil de la maison. Je lâai grondé. En vérité, il nâarrivait sans doute plus à cacher sa douleur.
Le diagnostic est tombé alors que nous avions la vie devant nous. Cancer. Tous ses organes étaient atteints. Je suis allée le chercher à la clinique. Il mâattendait, le ventre rasé. Mon géant invincible semblait soudain vulnérable.
Nous sommes partis à notre maison de campagne. Là , jâai retiré le harnais, la laisse et le collier rempli des médailles de mon vétéran. Il a dormi dans mon lit et a mangé tout ce dont il a eu envie. Chaque jour, je guettais ces fameux signes, sans trop savoir à quoi ils devaient ressembler. Le matin où il est resté couché dans la neige sans bouger, jâai appelé la vétérinaire pour le rendez-vous duquel on ne revient jamais. En route, je guettais encore, dans le rétroviseur, les signes dâune rémission miraculeuse. Mais mon Clovisseau nâarrivait plus à manger.
Dre Anne-Marie sâest pointée dans la petite salle avec, en main, la dose préfatale. Je nâai pas su le rassurer. Fidèle à sa nature, Monsieur Clovis a tenté de fuir par la fenêtre.
Cette fois, jâaurais tout donné pour le lui permettre.
Photo 1 : Clovis sâadonnant à son activité préférée.
Photo 2 : Un instant de bonheur à lâétat pur entre Josée et Clovis, en vacances à l'Ãle-du-Prince-Ãdouard.
Crédits : Josée Larivée