Mon matou, le batailleur

31 juillet 2019

Notre collaboratrice s’est éprise d’un félin aux allures de bum, abandonné par son propriétaire. Elle partage l’aboutissement d’une touchante histoire d’amour.


Chaque matin, quand il rentrait de ses escapades nocturnes mouvementées, il montait directement dans ma chambre, sautait sur le lit où je faisais semblant de dormir encore, étendait ses cinq kilos bien tassés sur ma poitrine et étirait la patte pour la poser sur mon menton. Quand j’ouvrais un œil, il me regardait l’air de dire : « Tu vois, je suis revenu une fois de plus. » C’était un de mes moments préférés de la journée.


Regalito et son humaine partagent un moment spécial.


Ce chat, c’était un bum. Je l’avais adopté alors qu’il avait près de deux ans, lors d’un rendez-vous chez la vétérinaire pour Cat Benatar, ma chatte noire. « J’ai un matou ici que je ne peux pas garder. Son propriétaire me l’a laissé dans un piteux état, après une grosse bataille, et ne voulait pas payer pour la chirurgie, qu’elle m’a dit. Je l’ai donc opéré à mes frais, et je cherche quelqu’un qui voudrait l’adopter. Serais-tu intéressée? » Quand elle m’a présenté ce costaud tigré à l’oreille ébréchée, mon cœur a fondu. J’ai dit « oui, je le veux » et j’ai promis de venir le chercher deux semaines plus tard, après mes vacances en Espagne. C’est d’ailleurs dans une épicerie de Barcelone que j’ai trouvé son nom, lorsque la caissière m’a demandé si je voulais un regalito avec mes achats, en me tendant une chandelle parfumée. Ce joli mot signifie « petit cadeau ».


Regalito est resté avec nous cinq ans, à temps, disons, partiel. Car ce qu’il aimait, c’était être dehors. Déprimé tout l’hiver, il n’attendait qu’une légère montée du mercure pour repartir faire la loi sur le territoire félin très occupé de Limoilou. Tous les voisins le connaissaient, certains le nourrissaient — à mon grand désarroi, car il engraissait dangereusement —, bref, il brillait dans son rôle de mascotte du quartier.


L’aventurier revient fatigué de ses escapades nocturnes.


Puis, un matin de mai 2016, aucune patte n’est venue se poser sur mon menton. Le lendemain non plus. Nous l’avons cherché, appelé, sans succès. Après trois jours rongés par l’inquiétude, il est rentré un vendredi soir, amaigri et visiblement malade, et est monté directement se coucher sur notre lit, d’où il n’a plus bougé de la fin de semaine. Même la nourriture ne l’intéressait pas. Le lundi, la vétérinaire a diagnostiqué une infection du foie, et m’a recommandé une prise de sang pour la leucémie et le VIF. « Le quoi? », ai-je demandé. « Le sida félin. Ce n’est pas rare chez les chats batailleurs, surtout s’ils sont en contact avec des chats errants. Ça se transmet essentiellement par morsure. » Il a testé positif, comme on dit dans le jargon.


J’étais atterrée. Cette maladie, qui ne se transmet ni aux humains ni aux autres espèces animales, ne se soigne pas, m’a-t-on expliqué. Comme pour le sida humain, il s’agit d’un rétrovirus qui affaiblit le système immunitaire ; le chat peut être porteur du VIF jusqu’à trois ans avant de développer des « symptômes », c’est-à-dire des infections à répétition. Regalito pourrait vivre encore quelques mois, voire quelques années, à condition d’être isolé des autres chats, pour éviter de les infecter. Vu sa nature active et aventurière, le garder à l’intérieur était inconcevable ; il aurait été malheureux comme les pierres, surtout qu’on aurait dû l’enfermer dans une pièce pour assurer la sécurité de Cat Benatar avec qui il se chamaillait parfois (mais qui, heureusement, n’était pas porteuse du VIF, nous a révélé un test sanguin). Comme son infection au foie était sévère et que ses perspectives d’avenir étaient sombres, nous l’avons fait euthanasier le mercredi.


Le matou se repose avant de partir pour le plus long de ses voyages.


Depuis, j’ai beaucoup pleuré cette perte injuste, mais j’ai aussi adopté deux nouveaux chats, en plus de la noiraude. Fini, les escapades : ils sortent toujours attachés, et sous surveillance. Cette histoire tragique m’a fait reconsidérer l’importance que j’accordais à la liberté de circulation des félins. Parfois elle fait apparaître des chaînes pires qu’un câble d’attache.


Regalito, lui, est enterré sous le gros pin derrière la maison, à l’endroit où j’installe mon hamac l’été. Chaque fois que je vais m’y coucher, j’étends le bras pour toucher de ma main le sol où il repose, dans un geste qu’il connaît bien.


Demain : Y a-t-il un vaccin contre le sida félin?


Photos : Collection personnelle




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