La journée avait été dure. Je venais dâenvoyer un de mes chevaux vivre avec quelquâun dâautre, simplement parce que tous deux avaient lâair dâêtre faits lâun pour lâautre. Triste et aux prises avec un sentiment de solitude, je flânais dans ma grange. Je me suis laissée tomber dans le foin. «âJe nâai pas encore trouvé mon Dennyâ», pensai-je tout haut dans la grange vide, tentant vainement de me réconforter.Â
Ding! Un message texte. Un ami était à un encan reconnu pour vendre des chevaux destinés à lâabattoir. On appelait cet endroit le «âmarché de la viande fraîcheâ», et câétait le pire endroit pour un cheval. Mon ami mâenvoyait la photo dâun beau mâle castré de couleur isabelle.Â
Denny, bien sellé et prêt à partir!
«Denny!», jâai répondu.
Ding! «Comment tâas su son nom?»
Mon ami était plus jeune que moi â trop jeune pour savoir que je faisais référence au film australien LâHomme de la rivière dâargent, sorti en 1982. Denny, un beau mâle castré de couleur isabelle, était le fidèle compagnon du personnage principal. Du haut de mes 10 ans, ce Denny-là était mon cheval de rêve. Quand la suite est sortie, quelques années plus tard, jâétais en route vers lâAustralie. à Sydney, je me suis précipitée dans la boutique qui avait habillé les acteurs du film et je me suis acheté une de ces fameuses vestes dâéquitation en toile cirée.Â
Malgré mon rêve dâavoir un cheval, et malgré mes supplications au Père Noël et à mes parents, mon vÅu ne sâest pas réalisé. Ce nâest quâà 34 ans que jâai eu ma première monture, et ce nâétait pas le glorieux Denny, qui demeurait insaisissable.
Jâavais 44 ans quand jâai reçu ce message tant attendu. Le cheval était mis en vente sans historique, seulement un nom â Denny. En fait, il sâétait retrouvé à lâencan deux fois en un an. Entretemps, il avait habité avec un négociant de viande. Câétait un miracle quâil ait échappé à lâabattoir. Denny était mon miracle.
Mon ami a délivré Denny, et lâa amené jusquâà ma ferme. Ce Denny-là avait des yeux dâun brun doux et le même regard sérieux que le cheval du film. De gros morceaux de muscle manquaient sous son pelage â je ne pouvais quâimaginer ce quâil avait vécu pour avoir de telles cicatrices. Mais il aimait les enfants et acceptait avec douceur les gâteries qui se trouvaient dans leurs petites mains ouvertes. Denny aimait aussi être brossé par quiconque avait un moment à lui accorder. Â
Le beau mâle de couleur isabelle qui se fait promener dans lâarène.
Son seul défaut était sa façon de foncer à travers les embrasures comme sâil était terrifié que les portes se ferment sur lui. Lâentraînement de routine nây a rien changé, mais un supplément de magnésium a su diminuer son degré dâanxiété, et nous nous sommes exercés à passer à travers les embrasures de porte. Enfin, à la longue, il a appris à nous faire confiance â au point où même un enfant pouvait le faire sortir.Â
Le cheval du film dévalait les collines escarpées des Snowy Mountains en sprintant poétiquement. Mon Denny, lui, cherchait à descendre les côtes à reculons! Nous nous sommes vite rendu compte que ce cheval âgé souffrait de problèmes de santé et, après quelques courtes sorties dans le champ, il était temps pour lui de prendre sa retraite.Â
Après tout, Denny était lui-même, pas la réplique dâun personnage de film. Il nâest jamais devenu un cheval que je pouvais monter avec ma veste en toile cirée. Mais je lâaimais parce quâil était mon ami, pas parce quâil mâétait utile. Les moments que nous passions ensemble en communion étaient plus merveilleux que le temps passé en selle.Â
Christen Shepherd et Denny appréciant un beau moment ensoleillé.
Au bout de deux années, un problème neurologique a rendu Denny incapable de marcher. Jâaurais aimé lâavoir trouvé des années plus tôt, mais jâétais reconnaissante des moments partagés avec lui.Â
Denny me rappelle encore aujourdâhui que nos rêves dâenfance peuvent se réaliser â il suffit de laisser le temps au temps et dâaccepter la tournure des événements.
Crédits : collection personnelle