Leçon de vie de mon cheval de rêve

23 août 2020

Sauvé de l’abattoir, Denny était le cheval dont avait toujours rêvé notre collaboratrice. Et si la vie pouvait se montrer à la hauteur de nos rêves d’enfance?


La journée avait été dure. Je venais d’envoyer un de mes chevaux vivre avec quelqu’un d’autre, simplement parce que tous deux avaient l’air d’être faits l’un pour l’autre. Triste et aux prises avec un sentiment de solitude, je flânais dans ma grange. Je me suis laissée tomber dans le foin. « Je n’ai pas encore trouvé mon Denny », pensai-je tout haut dans la grange vide, tentant vainement de me réconforter. 

Ding! Un message texte. Un ami était à un encan reconnu pour vendre des chevaux destinés à l’abattoir. On appelait cet endroit le « marché de la viande fraîche », et c’était le pire endroit pour un cheval. Mon ami m’envoyait la photo d’un beau mâle castré de couleur isabelle. 


Denny, bien sellé et prêt à partir!


«Denny!», j’ai répondu.

Ding! «Comment t’as su son nom?»

Mon ami était plus jeune que moi — trop jeune pour savoir que je faisais référence au film australien L’Homme de la rivière d’argent, sorti en 1982. Denny, un beau mâle castré de couleur isabelle, était le fidèle compagnon du personnage principal. Du haut de mes 10 ans, ce Denny-là était mon cheval de rêve. Quand la suite est sortie, quelques années plus tard, j’étais en route vers l’Australie. À Sydney, je me suis précipitée dans la boutique qui avait habillé les acteurs du film et je me suis acheté une de ces fameuses vestes d’équitation en toile cirée. 

Malgré mon rêve d’avoir un cheval, et malgré mes supplications au Père Noël et à mes parents, mon vœu ne s’est pas réalisé. Ce n’est qu’à 34 ans que j’ai eu ma première monture, et ce n’était pas le glorieux Denny, qui demeurait insaisissable.

J’avais 44 ans quand j’ai reçu ce message tant attendu. Le cheval était mis en vente sans historique, seulement un nom — Denny. En fait, il s’était retrouvé à l’encan deux fois en un an. Entretemps, il avait habité avec un négociant de viande. C’était un miracle qu’il ait échappé à l’abattoir. Denny était mon miracle.

Mon ami a délivré Denny, et l’a amené jusqu’à ma ferme. Ce Denny-là avait des yeux d’un brun doux et le même regard sérieux que le cheval du film. De gros morceaux de muscle manquaient sous son pelage — je ne pouvais qu’imaginer ce qu’il avait vécu pour avoir de telles cicatrices. Mais il aimait les enfants et acceptait avec douceur les gâteries qui se trouvaient dans leurs petites mains ouvertes. Denny aimait aussi être brossé par quiconque avait un moment à lui accorder.  


Le beau mâle de couleur isabelle qui se fait promener dans l’arène.


Son seul défaut était sa façon de foncer à travers les embrasures comme s’il était terrifié que les portes se ferment sur lui. L’entraînement de routine n’y a rien changé, mais un supplément de magnésium a su diminuer son degré d’anxiété, et nous nous sommes exercés à passer à travers les embrasures de porte. Enfin, à la longue, il a appris à nous faire confiance — au point où même un enfant pouvait le faire sortir. 

Le cheval du film dévalait les collines escarpées des Snowy Mountains en sprintant poétiquement. Mon Denny, lui, cherchait à descendre les côtes à reculons! Nous nous sommes vite rendu compte que ce cheval âgé souffrait de problèmes de santé et, après quelques courtes sorties dans le champ, il était temps pour lui de prendre sa retraite. 

Après tout, Denny était lui-même, pas la réplique d’un personnage de film. Il n’est jamais devenu un cheval que je pouvais monter avec ma veste en toile cirée. Mais je l’aimais parce qu’il était mon ami, pas parce qu’il m’était utile. Les moments que nous passions ensemble en communion étaient plus merveilleux que le temps passé en selle. 


Christen Shepherd et Denny appréciant un beau moment ensoleillé.


Au bout de deux années, un problème neurologique a rendu Denny incapable de marcher. J’aurais aimé l’avoir trouvé des années plus tôt, mais j’étais reconnaissante des moments partagés avec lui. 

Denny me rappelle encore aujourd’hui que nos rêves d’enfance peuvent se réaliser — il suffit de laisser le temps au temps et d’accepter la tournure des événements.


Crédits : collection personnelle