Tous les professionnels du milieu sont dâaccord : faire euthanasier son animal est lâune des décisions les plus douloureuses que lâon puisse avoir à prendre. « Très peu dâanimaux meurent de mort naturelle. De nos jours, on voit surtout des maladies gériatriques, comme des problèmes rénaux et hépatiques et des cancers. Et quand la qualité de vie des patients décline, la plupart dâentre eux sont euthanasiés », affirme le Dr Jim Berry, vétérinaire au Douglas Animal Hospital de Fredericton, au Nouveau-Brunswick.
Selon le Dr Berry, si on procède correctement à lâeuthanasie, lâanimal nâest pas anxieux.
« à la clinique où je travaille, la relation humain-animal est au cÅur de notre pratique, observe-t-il. Quand je fais une euthanasie dans une belle salle calme, en présence du maître, il nây a aucune différence pour lâanimal entre lâeuthanasie et un vaccin ou une prise de sang. »
Un choix déchirant
Même en sachant cela, la prise de décision demeure extrêmement lourde. Aussi, lorsquâils doivent déterminer si câest la fin, « les gens se sentent terriblement coupables, confie France Carlos, psychothérapeute montréalaise et auteure du livre Deuil animalier. Et comme ils craignent de se tromper, cela ajoute au traumatisme. » Ils se demandent, par exemple si leur animal nâa pas encore de beaux jours devant lui. Ou si, au contraire, à force dâattendre, on ne le fait pas souffrir inutilement. Certes, ces questions peuvent être posées à son vétérinaire, un des professionnels les mieux placés pour nous éclairer sur le moment le plus adéquat. Mais cela ne règle jamais la difficile question de savoir si on se sent capable de rester là pour son poilu dâamour jusquâà son tout dernier souffle.
Certains se demandent en effet sâils auront la force dâescorter leur chien ou leur chat jusquâau fameux « pont de lâarc-en-ciel ». Selon une étude réalisée en 2014, aux Ãtats-Unis, 63 % des maîtres décident de rester auprès de leur animal pour ce passage difficile. Au Royaume-Uni, câest plutôt 88 %, une statistique qui sâapplique aussi aux Canadiens, selon les vétérinaires que nous avons consultés.
Ce pourcentage élevé sâexplique par divers facteurs, notamment par le fait que lâanimal est maintenant considéré comme un membre de la famille, que les techniques liées à lâeuthanasie ont évolué et que les vétérinaires nâhésitent pas à discuter du protocole avec leurs clients. Selon la Dre Susan Dailley, propriétaire dâune clinique vétérinaire mobile à Guelph, en Ontario, le deuil dâun animal est aussi mieux accepté socialement. « Il est assez probable quâun plus grand nombre de propriétaires dâanimaux restent présents pendant lâeuthanasie comparativement à il y a 10 ou 20 ans. Cette tendance pourrait sâexpliquer par de nombreux facteurs, notamment un changement dans la relation humain-animal, la pression sociale, de meilleures habiletés de communication du côté des vétérinaires, lâamélioration des protocoles et des techniques dâeuthanasie, un meilleur accès à des spécialistes du deuil animalier et moins de stigmates associés à la réponse émotionnelle lors de la perte dâun animal. »
En dâautres mots, il y a quelques années encore, de manière générale, les gens laissaient leur véto procéder à la piqûre fatale pendant quâils allaient se réfugier dans leur voiture pour pleurer. Maintenant, la douleur ressentie nâest pas ignorée et dans la plupart des cliniques vétérinaires, un grand soin est apporté à ceux qui restent.
Une publication qui a fait jaser
En septembre dernier, un vétérinaire a soulevé la controverse en publiant sur Facebook une déclaration-choc qui a fait le tour du web. Ce professionnel prétendait que les gens devraient avoir honte de ne pas assister à lâeuthanasie de leur animal, puisque celui-ci mourait avec le sentiment dâavoir été abandonné.
« Pour moi, câest un beau cas dâanthropomorphisme, déclare sans détour France Carlos. Cette personne-là craint tellement de mourir seule quâelle projette ses peurs sur lâanimal. »
« Lâeuthanasie est en soi un geste de compassion lorsquâon la fait pour mettre fin aux souffrances de lâanimal ou pour les lui éviter. Certaines personnes ne sont pas équipées émotionnellement pour faire face à ce genre de situation, et câest là que les médecins vétérinaires et le personnel de la clinique, qui ont été formés pour offrir des soins de fin de vie, peuvent proposer un soutien tant pour lâhumain que pour lâanimal. Quand les propriétaires dâanimaux choisissent de ne pas rester avec leur animal pendant une euthanasie, les médecins vétérinaires et le personnel de la clinique font de leur mieux pour sâassurer que lâanimal ne se sent pas seul ou abandonné, » ajoute la Dre Susan Dailley.
Un sentiment dâapaisement
Toutefois, la procédure se passe souvent plus en douceur si le maître est là , parce que lâanimal se sent en confiance, admettent les vétérinaires interrogés. à moins que le propriétaire soit trop nerveux ou en détresse. « Dans ce cas, ça nâaidera pas du tout lâanimal, et il vaut peut-être mieux remettre le rendez-vous, si câest possible, ou ne pas assister », précise le Dr Dominick Rathwell, dont la thèse de doctorat portait sur lâeuthanasie de convenance.
Chose certaine, être présent jusquâà la fin peut aider à mieux faire son deuil, affirme la Dre Elizabeth Sinclair-Kruth, vétérinaire et psychothérapeute à Guelph, en Ontario. « Ãtre présent jusquâà la fin aide les gens à sentir quâils tournent la page et leur donne lâoccasion de faire leurs derniers adieux. Leur relation et leur conversation avec le médecin vétérinaire et le personnel pendant et après lâeuthanasie peuvent les aider à faire la paix avec leur perte. »
« Je dis parfois aux personnes qui se préparent à dire adieu à leur animal : vous nâavez pas à rester pour lâinjection, mais une fois quâil sera parti, allez le voir, dit France Carlos. Vous constaterez quâil est calme et paisible. En rentrant, vous ne le chercherez pas partout dans la maison et vous commencerez réellement à faire votre deuil. »